Dans la Déclaration de Paix à l’occasion du 70e anniversaire du bombardement atomique qui frappa Nagasaki, le maire, M. Tomihisa Taue, également vice-président de Maires pour la Paix, a interpelé avec force le gouvernement japonais et les puissances nucléaires afin que des progrès rapides soient faits en matière de désarmement nucléaire.
Par Tomihisa Taue, maire de Nagasaki
Le 9 août 1945, à 11 heures et 2 minutes du matin, la ville de Nagasaki a été en un instant réduite en ruines par une unique bombe atomique.
Une grande quantité de radiations traversa le corps des habitants, et la ville fut frappée par un rayonnement thermique et par un souffle dépassant toute imagination. Sur les 240 000 habitants que comptait la ville, 74 000 ont perdu la vie et 75 000 autres ont été blessés. La colline d’Urakami en ruines, dont on disait qu’elle ne verrait rien pousser pendant 70 ans, est aujourd’hui, comme nous pouvons le voir, entourée de verdure. Cependant les hibakusha, ces survivants de la bombe, qui, le corps rongé par les radiations, continuent de souffrir des séquelles de la bombe, ne peuvent passer une seule journée sans penser à ce jour-là.
La bombe atomique est née pendant la guerre. Puis, elle a servi pendant la guerre.
Les survivants qui ont connu dans leur chair la terrible force de destruction de la bombe, ont la conviction fortement ancrée, profondément gravée dans leur esprit que les armes atomiques ne doivent pas exister, qu’il ne faut plus jamais faire la guerre. Le principe de paix inscrit dans la Constitution japonaise est né de cette cruelle expérience et d’une réflexion sur la guerre, amenant le Japon d’après-guerre à emprunter le chemin d’un pays pacifique. Pour Nagasaki comme pour l’ensemble du Japon, ce principe de paix consistant à ne pas faire la guerre est un point primordial, qui doit rester éternellement inchangé.
Les générations nées après la guerre représentent aujourd’hui une grande partie de la population japonaise, et la mémoire de la guerre est en train de disparaître à toute vitesse de notre société. Nous devons préserver la mémoire de ce qu’ont vécu les victimes des bombes atomiques de Nagasaki et Hiroshima, mais aussi des bombardements qui ont détruit de nombreuses villes à commencer par celle de Tokyo, de la bataille d’Okinawa, et de cette cruelle guerre qui a plongé beaucoup de personnes dans la souffrance en Asie.
Aujourd’hui, après 70 années, ce dont nous avons besoin, c’est de perpétuer le récit de cette mémoire.
Vous tous, au Japon et dans le monde, qui avez connu la bombe atomique ou la guerre, racontez ce que vous avez vécu, pour que cette mémoire ne s’évanouisse pas comme emportée par le vent.
Vous, les jeunes générations, ne rejetez pas ces récits comme des histoires du passé, car ce qui vous est conté pourrait bien vous arriver à l’avenir : prenez grand soin de ce souhait de paix qui vous est adressé. Essayez d’imaginer ce que vous feriez si cela devait vous arriver. Et réfléchissez à ce que vous pourriez faire en faveur de la paix. C’est vous, les jeunes générations, qui avez le pouvoir de tisser des liens au-delà des frontières.
Vous, habitants du monde entier, possédez en chacun de vous le pouvoir suprême de réaliser un monde sans guerre ni armes atomiques. Les activités de chacun de ceux qui prêtent l’oreille aux récits de la guerre, qui signent des pétitions pour l’abolition des armes nucléaires, qui viennent voir les expositions sur la bombe atomique, possèdent une très grande force quand elles sont réunies. À Nagasaki, les nouvelles générations, à commencer par les enfants et petits-enfants des victimes, ont commencé à agir, prenant le relais dans la transmission de ces vœux de paix.
Ce pouvoir suprême de réaliser un monde sans guerres ni armes nucléaires est en chacun de nous. C’est le pouvoir de la société civile qui fait bouger les gouvernements, et qui fait bouger le monde.
En mai dernier, la Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) s’est terminée sans parvenir à l’adoption d’un texte final. Cependant, grâce aux efforts des pays qui veulent interdire les armes nucléaires, le projet de texte final a pu intégrer aussi des éléments marquant un pas en avant en termes de désarmement nucléaire. Nous en appelons aux dirigeants des pays membres du TNP. Faites tout pour ne pas gâcher la prochaine conférence d’examen. En toutes occasions, notamment lors des Assemblées générales des Nations Unies, poursuivez les efforts pour débattre du cadre légal, à commencer par celui du traité d’interdiction des armes nucléaires.
De plus, lors de cette conférence, une conscience commune de l’importance qu’il y a à visiter les lieux qui ont subi la bombe a pu être partagée avec bon nombre de pays.
Nous lançons ce nouvel appel depuis Nagasaki.
Président Obama, et vous, dirigeants de tous pays, à commencer par ceux des puissances nucléaires, et enfin vous tous, femmes et hommes du monde entier, venez constater ce qui s’est passé il y a 70 ans sous les champignons nucléaires, en visitant Nagasaki et Hiroshima. Venez ressentir ce que les survivants veulent transmettre à tout prix, non pas en tant que victimes, mais en tant qu’êtres humains.
Nous en appelons au Gouvernement japonais.
Envisagez un moyen de garantir la sécurité du pays qui ne soit pas fondé sur la force de dissuasion nucléaire. Cela est possible avec la mise en place d’une zone exempte d’armes nucléaires en Asie du Nord-Est telle que proposée par les chercheurs de nombreux pays comme les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud ou la Chine. Le regard fixé vers le futur, envisagez coûte que coûte un passage du « parapluie nucléaire » à un « parapluie non-nucléaire ».
Cet été, à Nagasaki, s’est tenu le « Forum international des enfants pour la paix » au cours duquel des enfants venus de 122 pays et régions ont réfléchi et débattu sur la paix.
En novembre, la Conférence internationale Pugwash se tiendra pour la première fois à Nagasaki. À cette réunion qui prend sa source dans l’appel lancé par Albert Einstein, qui connaissait l’horreur des armes nucléaires, prendront part des scientifiques du monde entier pour discuter du problème de ces armes, et émettre un message de paix à destination du monde depuis Nagasaki.
Peace from Nagasaki : la paix depuis Nagasaki. En accordant toute leur importance à ces mots, nous continuerons à semer les graines de la paix.
Aussi, même si quatre ans ont maintenant passé depuis le grand séisme de l’Est du Japon, Nagasaki continuera d’apporter son soutien à toutes les personnes de Fukushima qui souffrent des effets de l’accident nucléaire.
Actuellement, des délibérations sont en cours à la Diète sur un projet de loi définissant comment garantir la sécurité du pays. Les inquiétudes, les préoccupations se répandent : ce serment gravé dans notre cœur il y a 70 ans, ce principe de paix inscrit dans la Constitution japonaise ne serait-il pas en train de vaciller ? Nous demandons au Gouvernement et à la Diète de prêter l’oreille à ces inquiétudes et à ces préoccupations, et de faire appel à toute leur intelligence pour procéder à des délibérations prudentes et sincères.
L’âge moyen des survivants de la bombe a, cette année, dépassé 80 ans. Nous demandons fermement au Gouvernement japonais de prendre ses responsabilités au nom du pays pour assurer un soutien aux hibakusha conforme à leur situation, et pour étendre la zone reconnue comme exposée aux radiations pendant que ceux qui vivaient là sont encore vivants.
Rendant hommage à la mémoire de toutes les personnes disparues du fait de la bombe atomique, nous, citoyens de Nagasaki, déclarons ici que nous continuerons, avec Hiroshima, de consacrer tous nos efforts à la réalisation d’un monde exempt d’armes nucléaires et à la réalisation de la paix.
Traduction réalisé par la ville de Nagasaki.