Article de Michel Cibot co-signé avec Oliver Stone et Peter Kuznick paru en décembre 2015 dans la revue PKB – Presidency Key Brief à l’occasion de la COP 21, Conférence de Paris de 2015 sur le climat, distribué à l’ensemble des participants de la conférence.
Face au changement climatique, tous les experts s’accordent à dire que les élus locaux ont un rôle majeur à jouer. Toutefois, ce rôle est souvent réduit à des actions strictement liées à la préservation de l’environnement. Or les élus locaux, grâce à une connaissance approfondie de leur territoire et de leurs administrés, mais aussi grâce à une conscience élevée de leurs devoirs envers ces derniers, savent que pour être efficace, leur action doit s’inscrire dans un cadre beaucoup plus large, dans une approche systémique au sein de laquelle les enjeux de la paix sont cruciaux. Comme le disent Oliver Stone et Peter Kuznick (voir encadré) deux plaies menacent notre planète et elles sont nécessairement « jumelles » !
Grâce à l’ONU, nous pouvons maintenant prendre appui sur la notion de Culture de la Paix susceptible de se décliner dans tous les domaines de compétences de nos institutions locales et de leurs services, en contact permanent avec les habitants. Les armes d’aujourd’hui font courir à l’humanité un risque global. Une réponse globale est donc nécessaire et notre mobilisation locale indispensable.
Kazumi Matsui, maire d’Hiroshima,
président de Maires pour la Paix
On le voit avec les conflits passés ou en cours dans le monde, la préservation de l’environnement devient impossible en temps de guerre et longtemps après. À Ypres (Belgique), frappée par des attaques chimiques il y a maintenant 100 ans lors de la Première Guerre Mondiale, plus rien ne poussait, à part des coquelicots devenus depuis le symbole de ces combats, témoins des fureurs d’un siècle.
À Hiroshima et Nagasaki, frappées il y a 70 ans par une bombe atomique, tout fut détruit et il a fallu de nombreuses années pour que la population et l’écosystème retrouvent des conditions acceptables. Mais les deux villes et leurs citoyens portent encore dans leur chair et leur psyché les traces de ces bombardements. Des arbres ont survécus et sont maintenant l’objet d’un programme de sauvegarde et de mémoire spécifique promu par l’UNITAR.
Cet impérieux besoin de se souvenir atteste d’une inquiétude profonde, d’une véritable crise des perceptions de l’avenir causée par les armes nouvelles utilisées à Hiroshima et à Nagasaki. On parle aujourd’hui des deuxièmes et troisièmes générations de survivants. Cela appelle de notre part des approches nouvelles d’analyse des réalités de notre monde. Guerres et dégradation du climat ne font qu’un dans la course à l’abîme engagée par les humains. Il n’y a pas de solution miracle. Les humains ont inventé ces instruments de malheur, ils peuvent donc inventer ce qui permettra de fermer la porte de cet enfer.
Dans toutes les catastrophes, les acteurs locaux sont en première ligne. Pourquoi en serait-il autrement avec les dérèglements climatiques et la menace nucléaire. D’ailleurs, s’agissant des armes nucléaires, les États ont déjà tranché avec le TNP (Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires) qui préconise leur élimination (article VI), il faut seulement trouver le bon accord pour le mettre en œuvre !
Un réseau opérationnel de maires et acteurs locaux : Mayors for Peace
Ce sens aigu de leur responsabilité envers les citoyens et les écosystèmes, cette conscience d’être les premiers garants de la sécurité publique, que cela soit face à des catastrophes naturelles ou face à des conflits, armés ou non, ont amené les élus locaux à se rassembler au sein d’un réseau pluriel comptant aujourd’hui près de 7000 collectivités dans 161 pays, Maires pour la Paix (Mayors for Peace). Ce réseau, initié par les villes d’Hiroshima et de Nagasaki, est représenté en France par l’Association Française des Communes, Départements et Régions pour la Paix (AFCDRP-Maires pour la Paix France). Il travaille à ces questions depuis plusieurs années, proposant une approche globale des défis qui se posent au monde et par voie de conséquence aux collectivités territoriales, par la mise en mouvement des principes de la Culture de la paix telle que définie par l’UNESCO au début des années 1990.
En 2010, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, recevant une délégation de maires et représentants de nombreuses collectivités territoriales, leur adressait ces mots : « Construire un monde pacifique ne commence pas dans les salles de conférence à New York ou à Genève. Cela commence sur le terrain, dans les quartiers, dans les communautés. Cela commence par des leaders éclairés dans les villes et villages partout dans le monde. Cela commence avec vous. Et vous êtes en première ligne ».
Des outils pour agir : les PLACP
En France, avec l’appui de l’AFCDRP, des collectivités se mobilisent au quotidien pour mettre en place ces politiques publiques novatrices prenant en compte les huit domaines d’action de la culture de la paix. Elles élaborent des Programmes Locaux d’Action pour une Culture de la Paix (PLACP) adaptés à leurs choix, à leurs spécificités et à leurs moyens, des actions très appréciées des citoyens. Des expériences similaires peuvent être observées dans de nombreux pays d’Europe et du monde.
Armes nucléaires : le « trou noir »
Les villes d’Hiroshima et de Nagasaki étant à l’origine de ce réseau, la question des armes nucléaires est « naturellement » l’un des éléments clef de l’action. En effet, de nombreuses modélisations de climatologues ont montré qu’un conflit, même de faible intensité, qui impliquerait l’usage d’armes nucléaires, provoquerait un hiver nucléaire. Cet hiver nucléaire aurait un double effet : non seulement il aggraverait ceux du réchauffement climatique, qui est surtout un dérèglement climatique, mais en plus, il rendrait les conséquences humaines et environnementales encore plus désastreuses (voir les travaux d’IPPNW à ce sujet – Médecins pour la Prévention de la Guerre Nucléaire – Prix Nobel de la Paix). Au fond, les citoyens du monde entier, tous menacés par les armes nucléaires, savent assez peu de choses à leur sujet. Nous savons tout de même qu’elles ont fait entrer le monde dans une ère nouvelle, l’ère du pouvoir d’extermination totale des humains par les humains eux-mêmes. Le philosophe Jean-Pierre Dupuy, professeur à l’École polytechnique, parle d’un « défi à la pensée » à propos de ce pouvoir « d’autodestruction de l’espèce humaine ». Il ajoute : « Ce néant absolu est impensable, et pourtant, il agit comme un trou noir dont la présence hante tous les raisonnements autour de l’arme atomique ». Il constate que la philosophie française s’est peu intéressée à ce trou noir pourtant essentiel à toute compréhension de la réalité. Nous pouvons ajouter que la philosophie n’est pas seule dans ce déni, et si les innombrables analystes et docteurs de toutes disciplines présents au chevet de notre monde malade, du fait de ce déni, n’intègrent pas cette réalité dans leurs diagnostics, comment peuvent-ils prescrire les bons remèdes ? Ce déni explique sans doute le manque de relief et de réalisme de ce que d’aucuns appellent « la littérature grise » des montagnes de rapports déposés sur les bureaux de tous les élus locaux ou nationaux.
Outre le désastre potentiel, nous devons également nous demander comment un tel pouvoir de tout anéantir influence d’ores et déjà les comportements humains, si les multiples dérives du monde actuel ne prennent pas racine dans ce pouvoir pour s’en nourrir en désacralisant la vie humaine ? Un philosophe a utilisé les termes « d’obsolescence de l’homme »…
Une utilisation raisonnée des ressources au profit des besoins humains
Parmi les grands défis posés par les deux « plaies jumelles » comme disent Oliver Stone et Peter Kuznick vient en tête celui des moyens. Plusieurs études ont démontré que les ressources financières mobilisées par les armes nucléaires dans les pays détenteurs permettraient de satisfaire aux besoins fondamentaux des citoyens du monde entier et ainsi de tarir bien des sources de conflits ou rendre ces conflits plus faciles à solutionner par les voies diplomatiques façonnées au cours de siècles et des millénaires par les civilisations humaines.
Dérèglements climatiques et menace nucléaire : “Deux plaies jumelles’’
Le Président Américain Jimmy Carter avait demandé au célèbre astronome Carl Sagan d’écrire un passage de son discours de départ en 1981. Sagan écrivit : « Les armes nucléaires sont l’expression d’une facette de notre personnalité humaine. Mais il y a une autre face. La même technologie qui sert à faire voler des missiles nucléaires nous a également permis d’aller pacifiquement dans l’espace. De ce point de vue, nous voyons notre planète telle qu’elle est vraiment – un globe bleu, petit, fragile et magnifique, la seule maison que nous ayons. On ne voit aucune barrière de race, de religion ou de pays. Nous voyons l’unité essentielle de nos espèces et de notre planète et, avec de la foi et du bon sens, cette vision radieuse finira par triompher. » Sagan comprenait et exprimait la tension entre les facettes aimantes et créatives des humains et leur propension à l’avarice et à la destruction. Il dédiât sa vie à ce premier aspect. Maires pour la Paix a mené un travail exemplaire, faisant siens les rêves et les espoirs profondément humains de Sagan. Les élus du monde entier sont en première ligne dans la lutte à la fois contre la guerre nucléaire et le réchauffement climatique, deux des plus grandes menaces non seulement à la survie de l’espèce humaine mais aussi à l’existence même de toute forme de vie sur notre minuscule et fragile planète. Les menaces qui pèsent sur nous n’ont jamais été plus claires qu’elles ne le sont aujourd’hui. Nous nous joignons aux élus progressistes et conscients politiquement du monde entier pour vaincre ces deux plaies jumelles et, ce faisant, pour réaliser le rêve de Sagan d’une planète unifiée sans barrières de race, de religion ou de nationalité.
Oliver Stone et Peter Kuznick
Des organisations d’élus locaux, dont la Conférence des Maires des États-Unis (USCM), ont appelé leurs gouvernements respectifs à abandonner les armes nucléaires et à oeuvrer pour une culture de la paix en redirigeant les fonds ainsi libérés vers la réussite des « Objectifs du Millénaire pour le développement » définis par les Etats eux-mêmes au sein de l’ONU.
Les spécialistes en stratégie et en défense s’interrogent sur l’efficacité de l’usage des armes connues à ce jour dans les typologies actuelles de conflictualité. Ils envisagent des processus « d’influence préventive », une autre façon de dire que les solutions se trouvent sans doute dans les outils déjà forgés de la culture de la paix, même s’ils ne l’expriment pas ainsi. Cette nouvelle approche ouvrira peut-être la voie à ces « nouveaux paradigmes » que les experts en gouvernance appellent de tous leurs voeux. Elle permettrait en tout cas de parvenir à des équilibres viables entre les humains (nombreux) et la planète qui les fait vivre.
L’espoir demeure
Comme le dit le Pape François dans l’encyclique Laudato Si, « l’humanité est appelée à prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation, pour combattre ce réchauffement ou, tout au moins, les causes humaines qui le provoquent ou l’accentuent ».
Les villes, leurs maires, les départements, les régions et tous les acteurs de la vie locale sont en mesure d’apporter des contributions efficaces à la réalisation de cet objectif.
Avec Benjamin R. Barber, peut-être faut-il poser une question naïve : « Et si les maires gouvernaient le monde ? »… Mais restons modestes… Les citoyens sont les premiers garants de l’espoir. Ils ont besoin de transparence et d’information pour que la démocratie nous préserve tous de toutes les dérives… Telle est l’ambition de ces quelques lignes pour qu’un réseau international apporte sa contribution aux travaux de « l’équipe de France du Climat » !