Philippe Rio, le meilleur maire du monde : « La pauvreté rend impossible la réalisation des droits humains »

Par   7 décembre 2021

Traduction en français du portrait de Philippe Rio, maire de Grigny et président de l’AFCDRP-Maires pour la Paix, France, à partir de l’article en anglais publié sur le site du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, le 25 février 2021 : https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/Philippe-Rio.aspx

Philippe Rio est le maire de Grigny, une ville située au sud de la capitale française (Paris). Sa ville a été classée comme la plus pauvre de France par une enquête de l’Observatoire des inégalités, qui a révélé en 2020 que la moitié de la population de Grigny vit sous le seuil de pauvreté.

Aujourd’hui, la ville peut se targuer d’une distinction plus positive : son maire a reçu de la Fondation des maires de villes et du World Mayor Project le prix du meilleur maire du monde. Philippe Rio partage cette année le prix avec le maire de Rotterdam, Ahmed Aboutaleb.

Le prix a été une agréable surprise pour Philippe Rio, qui a déclaré que sa ville est souvent pointée du doigt par les médias pour ses réalités extrêmement dures et qu’un des tireurs de l’attaque de 2015 du supermarché casher Hypercasher a grandi à Grigny.

« C’est un prix pour toute la communauté de Grigny, qui s’est inspirée des droits humains pour faire face aux retombées sanitaires, sociales et économiques de la crise du COVID-19 », a déclaré M. Rio. « Ce n’est pas moi qui ai distribué 130 000 masques et qui ai contrôlé chaque jour les personnes âgées retraitées. C’est plutôt la mobilisation extraordinaire d’un groupe de fonctionnaires, d’élus et d’associations qui ont formé un nouveau partenariat dans notre écosystème local pour répondre à une urgence. Nous nous sommes surpassés et avons ressenti de la fierté. »

Une approche du gouvernement local fondée sur les droits humains

Les droits humains et la lutte contre les causes structurelles de la pauvreté ont été au cœur du gouvernement local de Grigny. Philippe Rio a fait remarquer avec facétie que les droits humains ont une signification particulière pour lui, car il est né le 26 août, le jour même où la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a été adoptée par la Révolution française en 1789.

« Il faut le temps de la raison et le temps de l’action, c’est-à-dire comprendre, objectiver, dénoncer les inégalités qui font d’une ville comme Grigny le lieu où le plus grand nombre de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, et aujourd’hui ce sont surtout les enfants et les femmes qui sont touchés », a-t-il déclaré.

« Dans le ‘pays des droits de l’homme’, cinquième puissance économique mondiale, nous devons dénoncer, comprendre et contester ces phénomènes de ségrégation spatiale et sociale qui portent atteinte au droit à la ville des populations », a ajouté M. Rio. « Nous sommes un gouvernement local et notre fonction est de tirer sur tous les leviers de la politique municipale et d’interpeller l’État pour qu’il puise davantage et mieux dans ses compétences et celles des autres collectivités locales. »

En 2020, alors que le monde pensait avoir surmonté le pire de la pandémie, le gouvernement local de Philippe Rio s’est rendu compte que le COVID-19 avait créé une crise sociale et économique dans sa ville ainsi que dans d’autres banlieues fragiles, territoires ruraux et Outre-mer, créant encore plus de personnes vulnérables.

« Nous avons rapidement conçu un plan de lutte contre la pauvreté qui comprenait une multitude d’actions, dont la lutte contre l’insécurité menstruelle, ainsi que la distribution de petits déjeuners dans les écoles maternelles. La pauvreté commence dès la petite enfance et suit les enfants jusqu’à l’école primaire », a déclaré M. Rio.

« La pauvreté touche également les personnes âgées retraitées, dont beaucoup ne perçoivent pas d’allocation de solidarité alors qu’elle leur est garantie en France. Nous avons adopté une approche intergénérationnelle pour apporter des solutions concrètes. Nous avons déjà mis en œuvre de nombreuses actions de notre plan « 2021, 21 solutions ». Nous devrons évaluer les résultats, mais nous travaillons déjà sur un nouveau plan pour 2022. »

Lutter contre la pauvreté et faire progresser les droits des personnes

Philippe Rio attribue ses actions fondées sur les droits humains à son engagement continu en tant que coprésident du Comité pour l’inclusion sociale, la démocratie participative et les droits humains, un organe de Cités et Gouvernements Locaux Unis, qui est le plus grand réseau mondial de villes et de gouvernements locaux, régionaux et métropolitains et de leurs associations (voir article sur le partenariat ONU-CGLU : https://www.uclg-cisdp.org/fr/nouvelles/partenariat-entre-lonu-et-cglu-dix-points-qui-feront-avancer-lagenda-commun-sur-les)

« Cela a été extrêmement inspirant », a-t-il déclaré. « Elle nous a permis de renouveler notre réflexion, mais aussi notre action. Si aujourd’hui Grigny est considérée comme une terre d’innovation et un laboratoire national de politiques publiques, c’est certainement parce que nous avons réussi à intégrer, avec très peu de moyens financiers car Grigny est une ville pauvre, l’empowerment des personnes et le respect des droits humains au cœur de nos politiques. »

Philippe Rio est fermement convaincu que la pauvreté nuit à la réalisation des droits humains. Il y a deux ans, il a conçu un plan de réduction de la pauvreté dans le but de promouvoir la dignité et les droits de l’homme.

« Lorsque nous développons des formations pour les personnes qui n’en ont pas, c’est le droit à l’éducation et le droit au travail qui sont visés. Quand nous travaillons sur la certification City of Learning, c’est le droit à l’éducation que nous voulons promouvoir. Et lorsque nous fournissons des protections menstruelles gratuites aux femmes et que nous cherchons à financer un appareil à ultrasons pour que les femmes de Grigny puissent avoir un suivi gynécologique, c’est pour leur droit à la santé », a-t-il déclaré.

« Nous devons parcourir ce premier kilomètre sur le chemin des droits humains parce que la pauvreté a bloqué l’accès à leurs droits fondamentaux pour beaucoup trop de nos concitoyens », a-t-il ajouté. « Nous sommes également conscients du fait que la mesure dans laquelle certains de ces droits sont réalisés ne peut être mesurée que sur de longues périodes de temps. »

Philippe Rio a attribué le fait qu’un pays comme la France puisse connaître une telle pauvreté au « paradoxe français », ajoutant qu’au cours des dernières décennies, le mot « égalité » dans la devise nationale Liberté, Égalité, Fraternité a perdu une partie de son sens, et que le pays traverse une période de doute.

Philippe Rio a également souligné que 50 % de la population de Grigny, comme de nombreuses autres banlieues en France, ont moins de 30 ans et représentent l’avenir du pays. Cependant, a-t-il dit, des milliers de jeunes de ces banlieues, des zones rurales et de la France d’outre-mer, soit environ 15 % de la population française totale, sont laissés pour compte. Pour M. Rio, l’avenir de la France dépend de la réussite de ces territoires délaissés et de leur jeunesse, à qui il faut donner les outils pour réussir.

« Nous avons été enfermés dans un cadre purement identitaire, religieux ou de couleur de peau, mais jamais amenés à créer maintenant l’avenir dont nous avons besoin », a déclaré M. Rio. « C’est pourquoi quelques collègues et moi avons créé le Conseil national des solutions pour participer positivement à l’écriture de l’histoire de France. »

Philippe Rio, qui a récemment soumis une proposition au gouvernement français sur l’accès des jeunes aux installations sportives comme moyen de promouvoir le changement social et l’accès à la santé, espère que les Jeux olympiques de Paris en 2024 auront un effet de ruissellement sur les banlieues.

Ce reportage fait partie d’une série destinée à célébrer la Journée des droits de l’homme 2021, sur le thème « Réduire les inégalités, faire progresser les droits de l’homme. » Pour en savoir plus